Lindholm,Megan-Le Dieu dans l'ombre(Cloven Hooves)(1991).OCR.French.ebook.AlexandriZ.pdf

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Le Dieu dans l'ombre
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Megan Lindholm
Alias Robin Hobb
LE DIEU DANS L’OMBRE
Traduit de l’amricain par Claudine Richetin
Editions SW-Télémaque
Paris
© 1991 Megan Lindholm Ogden
© 2004 Editions SW Tlmaque pour l’dition franaise
ISBN 2-7533-0001-1
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Un.
En vol, le 11 mars 1976
Je cesse de regarder fixement par le hublot et me penche
pour jeter un coup d’il mon fils, dans le sige côt de moi.
Il n’y a rien à voir dehors, de toute façon. A l’extérieur du hublot
ovale, la nuit sidérale défile en silence. Le ciel est couvert et
seules, quelques étoiles sont visibles. Rien qui puisse empêcher
mon esprit de tourner en rond. À l’intérieur, on entend le bruit
des moteurs, le ronronnement des petits ventilateurs
individuels qui brassent l’air confiné. Des rangées de dossiers
rouges, de nuques. La plupart des lampes au-dessus des têtes
sont éteintes. Des passagers assoupis se sont enveloppé les
épaules des minuscules couvertures fournies par l’hôtesse.
D’autres lisent des journaux et des magazines, fument ou
parlent à voix basse à leur voisin. Quelques-uns boivent
assidûment. Rien ici non plus qui puisse m’occuper l’esprit.
Teddy dort. Il a demandé le siège côté hublot et,
naturellement, nous le lui avons laissé, tout en sachant qu’il n’y
aurait pas grand chose à voir au cours de ce vol de nuit
Fairbanks-Seattle. Il a quand même pu voir disparaître derrière
nous les lumières de la piste d’envol et de la tour de contrôle et
apercevoir les lueurs fugitives d’une petite ville, quelque temps
après. Puis il est allé deux fois aux toilettes, a bien ri en
découvrant le sac en papier pour vomir dans la poche du siège, a
reçu de l’hôtesse un album à colorier et des galons de pilote en
plastique, a colorié un petit moment, puis a commencé à trouver
le temps long et à s’agiter un peu. Et maintenant, il a fini par
s’endormir. Je lui retire avec précaution son livre Le Pays des
bêtes sauvages 1 , de Sendak, dont le coin lui meurtrit la joue. Je
1 Titre original : Where the Wild Things Are , publié en français sous le titre :
Max et les maximonstres .
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pousse un soupir de soulagement en partie dû à l’anxiété. À
présent que Teddy s’est assoupi, plus rien ne peut me distraire
de mon angoisse. Sauf Tom. Je détourne mon attention de mon
fils de cinq ans en direction de mon mari.
Qui est endormi lui aussi da ns le siège à ma gauche.
Une mèche de cheveux clairs est retombée sur son front. Il
respire doucement, régulièrement, en paix avec le monde et
avec lui-même. Je sais bien que je devrais le laisser dormir. Ce
vol qui part de Fairbanks en pleine nuit et arrive à Seattle trop
tôt pour qu’on ait assez dormi est affreusement pénible. Je
devrais le laisser dormir pour qu’il soit frais et dispos quand ses
parents viendront nous chercher à l’aéroport. Je ne devrais pas
le réveiller, juste pour qu’il me parle et me rassure. Je devrais
vraiment le laisser dormir.
Mais je remets ses cheveux en place, doucement. Il sourit
et, sans ouvrir les yeux, avance sa main pour prendre la mienne.
Pendant quelques instants, nous fonçons à travers la nuit sans
rien dire. Des inconnus occupent les sièges autour de nous, ils
dorment, fument, lisent ou sirotent le contenu de leur verre.
Mais Tom et moi sommes seuls au milieu d’eux. C’est quelque
chose que nous avons toujours su faire, créer autour de nous
une bulle d’intimité sereine, quelles que soient les
circonstances.
« Toujours inquiète ? me demande-t-il doucement, sans
ouvrir les yeux.
— Un peu, reconnais-je.
— Idiote. »
Sa main serre brièvement la mienne, puis se détend. Il
soupire, change de position dans son siège pour me faire face. Il
appuie son visage contre le dossier pendant qu’il me parle,
comme lorsque nous bavardons au lit, chez nous, allongés face à
face, la tête sur l’oreiller. Je regrette de ne pas y être, pour
pouvoir me blottir contre lui et le tenir pendant qu’il me parle. Il
parle doucement, sa voix grave me calme comme les histoires
qu’on raconte avant de s’endormir.
« Ça va être très agréable, tu vas voir. Pour vous, en tous
cas. Moi, il faudra que je remplace Bix au magasin et à la ferme
jusqu’à ce que son épaule soit guérie. Labourer les champs,
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réparer les tracteurs... Mais Teddy et toi, vous allez vous régaler.
Teddy aura toute la ferme pour courir. Les ufs ramasser, les
poussins, les canetons, les cochons, tout ça. Et ma mère et mes
surs seront ravies de vous avoir. Depuis que je t’ai épousée,
Maman et Steffie meurent d’impatience de te prendre sous leur
aile. Pour aller faire les courses, te présenter à tout le monde.
Steffie avait plein de projets quand je l’ai eue au téléphone, je ne
sais pas comment tu vas faire pour la suivre. » Il sourit en
pensant sa sur cadette. Je me rapproche de lui, pose la tête
près de la sienne. « C’est ça, justement. Je ne sais pas comment
je vais faire pour la suivre, moi non plus. » Je revois Steffie telle
que je l’ai vue la dernière fois, au cours d’une brève visite à Noël
il y a deux ans. Elle venait de quitter le lycée cette année-là. Elle
rentrait d’une soirée, vêtue d’un fourreau de velours vert foncé,
avec de hauts talons, des bijoux aux oreilles, au cou et au
poignet, comme si elle sortait d’un magazine de mode. Mais elle
s’était précipitée pour nous embrasser, nous dire combien elle
était contente que nous ayons pu venir pour Noël. Le souvenir
rveille en moi le même pincement au cur que j’avais ressenti
alors : sa beauté m’avait tant intimidée que j’avais eu un frisson
de peur.
Pourquoi ?
Parce qu’elle était si belle, si parfaite. Le vilain sentiment
de jalousie que m’inspiraient toujours les jolies femmes s’était
réveillé. Qu’elle fut la sur de Tom importait peu. Ce n’était pas
une jalousie sexuelle. Je savais que je ne pourrais jamais
rivaliser avec des femmes de ce genre, qu’on ne m’avait jamais
appris à être élégante, féminine, charmante, époustouflante et
tous les autres adjectifs que Steffie et mère Maurie illustraient
avec tant d’aisance. Pourtant, Tom avait été entouré de ce type
de femmes en grandissant. Comment avait-il pu choisir une
petite souris grise comme moi ? Et s’il s’éveillait un matin en
s’apercevant qu’on l’avait trompé ?
Je me rends compte soudain que Tom continue à parler :
« Steffie et Ellie t’adorent. Papa et maman te trouvent très bien.
Bien entendu, je crois que c’est surtout parce qu’ils n’en
reviennent pas qu’une femme ait pu vouloir de moi. Ils te sont
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