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« Louis XIV n’a rien compris
à Molière. »
Un jour, le roi demande à Racine :
Quel est le plus rare des grands écrivains
qui ont honoré la France pendant mon règne ?
– Molière, Sire.
– Je ne le croyais pas, mais vous vous
y connaissez mieux que moi.
La Vie de Jean Racine par son fils Louis
Selon les conventions romantiques, les artistes
géniaux doivent avoir été pauvres et incompris. Ce cli-
ché ne s’accommode pas avec les succès éclatants de
Molière à la cour de Louis XIV. Le jeune roi adorait le
ton de la comédie et avait assez de sens commun pour
reconnaître, dans les pièces de Molière, quelques-uns
des défauts de son époque.
La troupe de Molière avait tourné dans les provinces
depuis 1643 avant de s’imposer et de réussir à jouer
dans la capitale. Louis XIV la vit à l’œuvre pour la
première fois en octobre 1658, dans une salle du
Louvre. Molière avait choisi de jouer Nicomède , tra-
gédie de Corneille, et de la faire suivre d’une farce de
sa manière, Le Docteur amoureux . Le jeune roi fut tel-
lement séduit qu’il convainquit son frère de gager ces
acteurs, la petite compagnie devenant désormais
« troupe de Monsieur », avec l’usage de salles sises
tout près du Louvre, celle de l’hôtel du Petit
Bourbon, dans la paroisse Saint-Germain-l’Auxerrois,
puis, après 1661, celle du Palais royal. Ensuite, dès les
premières fêtes données dans le domaine de
Versailles, le jeune roi tint à s’assurer les services de
cette troupe merveilleuse. Fut ainsi montée L’École
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des femmes , créée à Paris en décembre 1662 et donnée
à Versailles en février 1663, pour le carnaval. On y
met en scène les libertés des jeunes gens heurtant les
volontés désuètes et mesquines de barbons. Si l’argu-
ment pouvait choquer certains, ce n’était certes pas le
cas d’un prince de quelque vingt ans et de son entou-
rage, imbu des insolences des gens de son âge.
Il y eut ensuite L’Impromptu de Versailles en octo-
bre 1663, puis les extraordinaires fêtes des « Plaisirs
de l’Île enchantée », qui occupèrent les premiers espa-
ces de jardins de Versailles du 7 au 14 mai 1664. Le
thème principal était un immense ballet inspiré du
Roland furieux , poème épique de l’écrivain italien
l’Arioste (1474-1533), où le roi lui-même tenait le
rôle du brillant chevalier. Après ces heures d’éblouis-
sement, le programme comprenait aussi quatre pièces
de Molière, la reprise des Fâcheux (écrite en 1661) et
du tout récent Mariage forcé (janvier 1664), « petite
comédie mascarade », la création de La Princesse
d’Elide et enfin la première mouture d’une comédie
sociale, le Tartuffe (mai 1664). Ce dernier texte indi-
gna la Reine mère, parce qu’il prend pour cible les
abus d’un ecclésiastique mondain, faux dévot et véri-
table escroc. L’archevêque de Paris obtint même que
le parlement empêche, en août 1667, des représenta-
tions parisiennes. Mais ce petit scandale donna au roi
une nouvelle occasion de montrer son estime pour
Molière. Il n’aimait pas les caractères doctrinaires, il
se défiait des esprits de parti, dévots, jansénistes ou
réformés, il n’eut donc aucune peine à soutenir son
auteur préféré. Une version révisée (le premier texte
n’est pas connu) put enfin être jouée en février 1669.
Depuis des lettres patentes d’août 1665, la compagnie
de Molière avait, quoi qu’il en soit, reçu le titre et les
privilèges de Troupe du roi.
La mode du jour, la demande de la nouvelle généra-
tion et le goût personnel du prince allaient vers les
comédies ballets. Depuis le début du siècle, des occa-
sions de réjouissance dans des maisons aristocratiques
donnaient lieu à des représentations de ballets, scenarii
plaisants et éphémères. La nouveauté du genre de la
comédie ballet était de truffer une pièce comique d’en-
trées dansantes et d’allier ainsi la bonne humeur de la
comédie ou de la farce, la fantaisie de décors et costu-
mes fastueux, les enchaînements musicaux et aussi les
charmes de danses dont le roi lui-même avait le talent.
Molière, se pliant à ces commandes, mit ses textes en
musique et les accompagna de toutes sortes de divertis-
sements. Les premiers et illustres exemples furent Le
Mariage forcé et La Princesse d’Elide (mai 1664), qui
était qualifiée dans les annonces de « comédie galante
mêlée de musique et d’entrées de ballet ». Pour ces
entreprises, Louis XIV avait voulu que Molière et Lulli
travaillassent ensemble et cette alliance dura jusqu’en
1671. Les succès se succédèrent : Georges Dandin en
1668, Monsieur de Pourceaugnac en 1669, et Le
Bourgeois gentilhomme en 1670, etc., ces deux pièces
étant créées à Chambord, à l’automne, à la saison des
chasses dans les forêts de Sologne. La Comtesse
d’Escarbagnas fut composée au château de Saint-
Germain en 1671. Quant au Malade imaginaire , la
dernière pièce de Molière, elle fut présentée pendant le
carnaval de 1673 à Paris et, après sa mort, reprise à
Versailles en juillet 1674.
La sanction royale n’était certainement pas nécessaire
pour l’épanouissement du génie du dramaturge, mais
dans l’immédiat, le succès à la cour était un puissant
gage de fortune. Les œuvres jouées d’abord dans les soi-
rées estivales de Versailles étaient ensuite bientôt repri-
ses à Paris. La légende doloriste veut que Molière ait eu
beaucoup d’audace pour oser fustiger les mœurs de son
temps. En fait, ses intrigues étaient composées très pré-
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cisément pour plaire au public de la cour. Ses caractères
ridicules sont généralement de riches notables de la
capitale, des biens tenants, des gens de négoce portant,
on peut l’imaginer, le titre de marchands bourgeois de
Paris, comme Harpagon ( L’Avare, 1668), Argan ( Le
Malade imaginaire ), ou Monsieur Jourdain ( Le
Bourgeois gentilhomme ), etc. Quant aux plus grotesques
de ses personnages, ce sont des petits nobles venus du
fond de leur province, comme les Pourceaugnac,
Sotenville ou Escarbagnas. Ces héros imbéciles ne sont
pas proposés à la raillerie pour leur situation sociale de
riches ou de nobles, mais comme des personnages qui
ne savent pas s’accommoder de leur rang, qui portent
un ridicule social parce qu’ils en font ou trop ou pas
assez. Trop, comme les parvenus, indignes des apparen-
ces qu’ils veulent se donner, ou, au contraire, pas assez,
devenus si pauvres qu’ils sont incapables de tenir leur
place de naissance. Dresser ces fantoches n’avait rien de
subversif, il s’agissait de faire rire aux dépens de figures
caricaturales, dont la faute était précisément de singer
maladroitement les modes et les façons de la cour.
Dans la postérité, des metteurs en scène se plaisent à
dénoncer l’aspect choquant de morales sociales qui n’ont
plus cours, ce qui n’est qu’un anachronisme
d’ignorant. Ou bien ils choisissent d’accentuer des traits
sinistres de certaines situations, comme l’amertume des
barbons bafoués, la solitude de Tartuffe ou le projet de
suicide de Dandin. Des éléments de réalisme cachés
dans l’intrigue autorisent ces interprétations. Il faut
savoir toutefois qu’elles ne reflètent pas le parti pris de
joyeuse humeur des jours de création à Versailles et que
lorsque Dandin, tourmenté, humilié par sa femme,
envisage de disparaître, ses amis bergers lui conseillent de
se noyer plutôt dans le vin, tandis que la fête finit en jeux
bruyants et colorés en l’honneur de Bacchus.
L’enthousiasme et la faveur de Louis XIV ne se
démentirent jamais. Le roi avait certainement vu, et
souvent revu, à peu près tout le répertoire de
Molière. Il avait tenu en 1664 à être le parrain de son
fils Louis, disparu en bas âge. Après la mort du
comédien le 17 février 1673, le roi intervint pour
qu’il soit enterré dignement dans une chapelle de la
paroisse Saint-Eustache.
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