Doyle, Arthur Conan - Contes de Pirates.pdf

(464 KB) Pobierz
Arthur Conan Doyle
CONTES DE PIRATES
1922
1143262389.001.png
LE GOUVERNEUR DE SAINT KITTS.......................................3
LES RAPPORTS DU CAPITAINE SHARKEY AVEC STEPHEN
CRADDOCK .......................................................................................17
LA FLÉTRISSURE DE SHARKEY............................................ 31
COMMENT COPLEY BANKS EXTERMINA LE CAPITAINE
SHARKEY..........................................................................................45
« LA CLAQUANTE »................................................................57
UN PIRATE DE LA TERRE......................................................68
LE GOUVERNEUR DE SAINT KITTS
Titre original : Captain Sharkey : How The Governor of
Saint Kitts’ Came Home (1897).
Quand le traité d’Utrecht eut mis fin aux longues guerres de
la succession d’Espagne, les nombreux corsaires qui avaient
été utilisés par les nations en lutte se trouvèrent sans emploi.
Certains prirent goût aux habitudes paisibles, mais moins
lucratives, du commerce ordinaire. D’autres furent absorbés
par les flottes de pêche. Quelques téméraires hissèrent le pa-
villon noir à la misaine et le drapeau rouge au grand mât ;
pour leur propre compte ils déclaraient la guerre à toute
l’humanité.
Avec des équipages mêlés, recrutés un peu partout, ils
écumèrent les mers. De temps en temps, ils disparaissaient
pour caréner dans une crique écartée, ou bien ils se livraient
à mille débauches dans un port excentrique dont ils émer-
veillaient les habitants par leur prodigalité et les terrori-
saient par leurs manières de brutes.
Sur la côte de Coromandel, à Madagascar, dans les eaux
africaines, et surtout dans les Antilles et les mers américai-
nes, les pirates constituaient une menace constante. Avec un
insolent appétit de confort ils réglaient leurs déprédations
sur l’agrément des saisons : en été ils harcelaient la Nou-
velle-Angleterre, et en hiver ils descendaient vers les îles des
Tropiques.
Ils étaient d’autant plus à redouter qu’ils manquaient tota-
lement de la discipline et de la mesure qui avaient rendu
leurs prédécesseurs, les boucaniers, à la fois formidables et
respectables. Ces Ismaëls de l’océan ne rendaient de comp-
tes à personne et ils traitaient leurs prisonniers selon leur
capricieuse ivresse du moment. Des éclairs d’une générosité
grotesque alternaient avec de plus longues périodes d’une
inconcevable férocité. Le capitaine qui tombait entre leurs
mains pouvait se trouver aussi bien relâché avec sa cargai-
son après avoir participé à d’abominables beuveries qu’assis
à table avec son propre nez et ses lèvres servis en vinaigrette
3
devant lui. À cette époque il fallait être un solide marin pour
commercer dans la mer des Caraïbes !
Justement le capitaine John Scarrow, du bateau Morning-
Star, en était un. Il n’en poussa pas moins un profond soupir
de soulagement quand il entendit l’ancre gifler l’eau et qu’il
évita sur ses amarres à moins de cent yards des canons de la
citadelle de Basseterre. Saint Kitts était le dernier port où il
relâchait ; de bonne heure le lendemain matin sa proue
pointerait en direction de la vieille Angleterre. Il en avait as-
sez de ces océans hantés par les voleurs ! Depuis qu’il avait
quitté Maracaïbo sur la mer des Antilles avec son plein char-
gement de sucre et de poivre rouge, il avait tressailli chaque
fois qu’un hunier miroitait au-dessus de la surface violette
des eaux tropicales. Il avait caboté en remontant les îles du
Vent, touchant ici ou là, et partout il avait dû prêter l’oreille
à des histoires de brigands.
Le capitaine Sharkey, qui commandait le corsaire Happy-
Delivery de vingt canons, avait descendu la côte en la jalon-
nant de navires coulés et de cadavres. Quantité d’anecdotes
couraient sur ses plaisanteries sinistres et sur son impitoya-
ble férocité. Des Bahamas à la mer des Antilles, son bateau
noir comme du charbon était une promesse de mort et de
beaucoup de choses plus terribles que la mort. Le capitaine
Scarrow avait été tellement énervé par ces histoires qu’avec
son navire neuf gréé en trois-mâts carré et sa cargaison de
valeur il s’était déporté vers l’ouest jusqu’à l’îles des Oiseaux
pour s’écarter de la route commerciale normale. Même dans
ces eaux solitaires le capitaine Sharkey s’était rappelé à son
souvenir.
Un matin ses matelots avaient repêché un canot à la dé-
rive, dont le seul occupant était un marin délirant qui avait
poussé des rugissements pendant qu’il avait été hissé à bord,
et qui leur avait montré une langue aussi sèche qu’un cham-
pignon noir. De l’eau et des soins avaient vite fait de lui
l’homme le plus robuste et le plus alerte de tout l’équipage. Il
était de Marblehead, dans la Nouvelle-Angleterre, à ce qu’il
4
semblait, et il restait l’unique survivant d’un schooner qui
avait été coulé par le terrible Sharkey.
Pendant une semaine Hiram Evanson (il s’appelait ainsi)
avait vogué à la dérive sous le soleil tropical. Sharkey avait
donné l’ordre que les restes mutilés de son défunt capitaine
fussent placés dans son canot « en guise de provisions de
voyage », mais le malheureux les avait instantanément reje-
tés à la mer de peur que la tentation ne devînt trop forte. Il
avait vécu sur les réserves de sa grande carcasse jusqu’à ce
que, in extremis, le Morning-Star l’eût trouvé dans l’état de
folie qui, dans ces cas-là, précède la mort. Pour le capitaine
Scarrow, qui naviguait avec un équipage réduit, ce robuste
originaire de la Nouvelle-Angleterre était une aubaine. Il se
vantait même d’être le premier marin à qui le capitaine
Sharkey avait rendu service.
À présent qu’ils étaient amarrés à l’abri des canons de Bas-
seterre, le pirate n’était plus guère à redouter. Pourtant le
marin ne cessait de penser à lui, et la vue de son agent local
grimpant en canot pour aller à sa rencontre ne parvint pas à
le distraire.
– Je vous parie, Morgan, dit-il à son second, que l’agent
prononcera le nom de Sharkey dans les cent premiers mots
qui sortiront de sa bouche !
– Eh bien ! capitaine, voilà un dollar en argent, je le risque,
répondit le vieux marin de Bristol qui se tenait à côté de lui.
Les rameurs noirs rangèrent le canot le long du bateau et
l’agent grimpa à l’échelle.
– Bonjour, capitaine Scarrow ! s’écria-t-il. Connaissez-vous
la nouvelle pour Sharkey ?
Le capitaine décocha à son second un sourire en coin.
– Quelle diablerie vient-il de commettre ?
– Diablerie ? Mais alors vous ne savez pas ! Eh bien ! Nous
l’avons ici sous les verrous. Oui, ici, à Basseterre. Il a été jugé
mercredi dernier, et il sera pendu demain matin.
Le capitaine et son second poussèrent un cri de joie, au-
quel l’équipage ne tarda pas à faire écho. Il ne fut plus ques-
tion de discipline : ils se rassemblèrent tous à la coupée pour
5
Zgłoś jeśli naruszono regulamin